Un peu d'histoire
Une science jeune au Québec
Implantée au 19e siècle en Amérique du Nord, l’archéologie scientifique et professionnelle n’a vraiment pris son essor au Québec que dans la seconde moitié du 20e siècle.
D’abord l’apanage des chercheurs et des gouvernements, elle a ensuite débordé des cercles fermés pour rejoindre le public via les musées et les centres d’interprétation. En 1972, la Loi sur les biens culturels (remplacée depuis par la Loi sur le patrimoine culturel) et la Loi sur la qualité de l’environnement ont renforcé sa reconnaissance et sa pratique de façon déterminante, en facilitant la réalisation d’interventions archéologiques majeures et en mettant l’accent sur la conservation et la protection du patrimoine archéologique.
Les précurseurs
À partir de 1850, l’archéologie est déjà présente chez certains érudits et scientifiques du Bas-Canada ou du Québec d’alors. Les plus éminents sont le géologue J. W. Dawson et le politicien et homme de lettres Narcisse Faucher de Saint-Maurice. Le premier croit reconnaître, dans les vestiges d’une occupation amérindienne découverts par hasard en 1860 près de l’Université McGill, ceux du village d’Hochelaga visité par Jacques Cartier en 1535. Il publie de nombreux articles à ce sujet.
En 1878, Faucher de Saint-Maurice supervise des fouilles à l’emplacement de l’ancien collège des Jésuites à Québec. Il est considéré aujourd’hui comme l’un des précurseurs de l’archéologie historique telle qu’elle se pratique aujourd’hui au Québec.
La Société d’archéologie et de numismatique de Montréal naît en 1862. C’est l’une des plus anciennes institutions montréalaises à œuvrer pour la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine. Plusieurs de ses membres s’illustreront au cours des années, dont l’avocat William D. Lighthall et l’architecte Aristide Beaugrand-Champagne.
Lighthall s’intéresse particulièrement aux sépultures amérindiennes découvertes à Montréal et publie en 1929 une synthèse de la préhistoire de Montréal. Quant à Beaugrand-Champagne, il est aussi fasciné par les vestiges amérindiens. Il travaille notamment avec Lighthall et William J.Wintemberg sur le site iroquoien de Lanoraie dans la région de Lanaudière.
Wintemberg est considéré comme le père de l’archéologie canadienne. Il parcourt le Québec durant les années 1920 et 1930 et localise plusieurs sites amérindiens anciens dans la vallée du Saint-Laurent, sur la Côte-Nord et aux Îles-de-la-Madeleine.
Enfin, des archéologues du Musée national du Canada à Ottawa, devenu le Musée canadien des civilisations, ainsi que des archéologues américains, anglais et danois, dont Harlan I. Smith, Douglas Leechman et Edward S. Rogers, viennent poursuivre des recherches au Québec. L’origine des Amérindiens et des Inuits, la chronologie de l’occupation du territoire et les modèles d’adaptation à l’environnement sont au centre de leurs intérêts.
Naissance de la profession au cours des années 1960
L’archéologie au Québec prend un véritable essor entre 1960 et 1970, à l'époque du mouvement socioculturel connu sous le nom de Révolution tranquille. Les premières structures officielles sont mises en place. L’archéologie est enseignée à l’université, un Service d’archéologie et d’ethnologie est créé par le Gouvernement du Québec, et des sociétés d’archéologie et des musées se créent, des publications naissent.
Le gouvernement fédéral, avec son service des Lieux historiques nationaux, joue également un rôle prépondérant.
Photo: Archéo-Québec, Éric Piché. Lieu historique national de Coteau-du-Lac, Parcs Canada.
Un essor prépondérant pendant les années 1970
C’est la grande époque de développement de l'archéologie québécoise. Des programmes de recherche sur le terrain sont mis sur pied à travers la province. La Loi sur les biens culturels entre en vigueur en 1972, suivie par le Règlement sur la recherche archéologique.
Le ministère des Affaires culturelles amorce, à cette époque, l’inventaire des sites archéologiques du Québec. Le premier chantier-école en archéologie préhistorique est créé par l’Université de Montréal sur le site de Pointe-du-Buisson, à Beauharnois.
Des firmes de consultants apparaissent et des projets d'envergure, réalisés dans le cadre de la Loi sur la qualité de l'environnement, voient le jour à la Baie James, dans l’Ungava, sur la Côte-Nord et en Gaspésie.
C’est également l’époque du chantier de Place Royale à Québec ainsi que celui des Forges Saint-Maurice, à Trois-Rivières. Des fouilles subaquatiques sont également entreprises. Enfin, l'Association des archéologues du Québec est formée en 1979.
Toutes ces recherches sur l’ensemble du territoire québécois permettent l’essor de l’archéologie préhistorique et historique. L’archéologie urbaine se développe également tant à Québec qu’à Montréal. Des centaines de recherches sont publiées dans les revues Recherches amérindiennes au Québec et Études Inuit, dans les Dossiers et Cahiers du Patrimoine du ministère de la Culture et des Communications et dans Paléo-Québec. Les Québécois découvrent ainsi la richesse insoupçonnée d’un patrimoine enfoui depuis des millénaires.
La consolidation des acquis au cours des années 1980
Plusieurs grands projets sur le terrain prennent fin et laissent place à des analyses et des synthèses. D’autres s’amorcent dans plusieurs régions du Québec, notamment sur la Basse-Côte-Nord et dans la région du lac Saint-Jean.
Plusieurs chantiers-écoles ouvrent leurs portes aux étudiants, aux Grandes-Bergeronnes sur la Haute-Côte-Nord et sur le site du palais de l’Intendant à Québec. Toujours à Québec, Parcs Canada fouille les dessous de la terrasse Dufferin de 1985 à 1987.
La Ville de Montréal ouvre des chantiers de fouilles au public dans le Vieux-Montréal alors que le premier centre d'interprétation en archéologie au Québec est construit sur le site de Pointe-du-Buisson en Montérégie.
Photo: Archéo-Québec, Éric Piché. Pointe-du-Buisson/Musée québécois d'archéologie.
Le ministère des Transports, la Ville de Québec et la Ville de Montréal embauchent de leur côté des archéologues. C'est également au cours de cette période que l'administration régionale Crie à la Baie James met sur pied son propre programme d'archéologie.
Enfin, le Centre de conservation du Québec offre également son expertise pour la consolidation des vestiges et la restauration d'artefacts.
Depuis 1990, l'archéologie se régionalise et se démocratise de plus en plus
La régionalisation des actions du ministère des Affaires culturelles dans les années 1980, sous l’influence de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, favorise un développement régional plus marqué de l’archéologie, accompagné d’une sensibilisation des citoyens.
Des projets se réalisent à travers l'ensemble de la province. On explore, entre autres, la question du peuplement initial du Québec dans le Témiscouata, en Gaspésie et dans la région de Québec.
En Abitibi, la Corporation Archéo-08 réalise une série de recherches régionales. L'univers iroquoien est étudié aux deux extrémités de la vallée du Saint-Laurent, à l'embouchure du Saguenay et à Saint-Anicet. Le centre d'interprétation du site de Pabos en Gaspésie, celui d’Archéo-Topo aux Grandes-Bergeronnes en Haute-Côte-Nord et celui du site Droulers en Montérégie ouvrent leurs portes.
Photo: Archéo-Québec, Éric Piché. Centre d'interprétation du Site archéologique Droulers-Tsiionhiakwatha.
En 1993, la Commission de la capitale nationale du Canada entreprend des recherches dans le parc du lac Leamy, à Gatineau, qui révèlent une occupation de plus de 4000 ans.
L’archéologie subaquatique n’est pas en reste
Sur la Côte-Nord, à l’Anse aux Bouleaux, l’épave du navire Elizabeth and Mary appartenant à la flotte de Phips en 1690 (Projet Phips) est fouillée par des équipes de Parcs Canada dès 1995. Plus de 4000 artefacts engloutis ont été recueillis et traités par le Centre de conservation du Québec. Il s’agit là d’une découverte exceptionnelle!
L'épave du Elizabeth and Mary (1690). Fouilles archéologiques : Rapport d'activités 1997
La recherche interdisciplinaire se développe, l’archéologie fait de plus en plus appel à des disciplines scientifiques telles que la zooarchéologie, la palynologie, l'étude des macrorestes végétaux et les analyses physico-chimiques des matériaux
Les programmes d’inventaire des rues et des réseaux souterrains amènent des découvertes fort importantes dans les arrondissements historiques de Montréal, La Prairie, Québec et Trois-Rivières.
Les publications archéologiques se multiplient et témoignent du dynamisme des chercheurs: Mémoires vives, Archéologies québécoises, Paléo-Québec, ArchéoLogiques, Cahiers d'archéologie du CÉLAT, alors qu'un mouvement de sensibilisation se concrétise à travers les efforts du réseau Archéo-Québec, qui donne accès chaque été à des dizaines de chantiers ou sites archéologiques.
Le musée d'archéologie et d'histoire de Pointe-à-Callière est inauguré en 1992 et initie, en 2002, avec le Département d'anthropologie de l'Université de Montréal, une école de fouilles en archéologie historique sur le lieu de fondation de Montréal. En 2000, après l’ouverture de plusieurs chantiers-écoles à l’Îlot des Palais, à l’Îlot Hunt et au domaine Maizerets, le Département d’histoire de l’Université Laval ouvre un nouveau chantier-école d'archéologie historique à La Prairie, près de Montréal.
Photo: Normand Rajotte. Pointe-à-Callière, Musée d'archéologie et d'histoire de Montréal.
En 2006, un vaste programme de fouilles archéologiques est entrepris par le gouvernement du Québec sur le site du fort Cartier-Roberval, à Cap-Rouge, près de Québec. Ce lieu historique unique témoigne de la première tentative de colonisation française au 16e siècle dans la vallée du Saint-Laurent.
Une tradition québécoise en archéologie
En bref, depuis les années 1960, l'archéologie au Québec a acquis une maturité dans les domaines préhistorique et historique. On peut dorénavant parler d'une tradition québécoise en archéologie.
Aujourd’hui, plus de 100 organismes et individus, regroupés grâce aux efforts du réseau Archéo-Québec, travaillent à faire connaître et apprécier les découvertes faites par les chercheurs au fil des ans, et ainsi, à mieux préserver le patrimoine archéologique québécois.
Chronologie de la discipline au Québec
2012 |
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Ouverture du Musée et site archéologique de la Maison Nivard-de-Saint-Dizier, Montréal. Adoption de la nouvelle Loi sur le patrimoine culturel du gouvernement du Québec. |
2011 |
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Ouverture de l’Institut culturel cri Aanischaaukamikw à Oujé-Bougoumou, Nord du Québec. |
2005 |
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Ouverture de la Réserve des collections archéologiques de la Ville de Montréal. |
2001 |
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Ouverture du Centre d’interprétation du site archéologique Droulers/Tsiionhiakwatha, Saint-Anicet en Montérégie. |
1999 |
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Création du réseau Archéo-Québec. |
1995 |
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Ouverture du Centre Archéo-Topo, un centre d'interprétation de l'archéologie et de l'histoire amérindienne ancienne de la Haute-Côte-Nord. |
1994 |
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Colloque du Comité international de gestion du patrimoine archéologique de l'ICOMOS à Montréal, sous le thème : Vestiges archéologiques: La conservation in situ. |
1993 |
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Ouverture du Centre d’interprétation du Site historique et archéologique de Pabos. |
1992 |
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Ouverture de Pointe-à-Callière, Musée d'archéologie et d'histoire de Montréal. Création du Centre de référence lithique du Québec. |
1989 |
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Ouverture du Laboratoire et de la Réserve d’archéologie du Québec et du Centre de Conservation du Québec où l’atelier ethno-archéo offre des services de restauration/conservation pour des objets archéologiques. |
1986 |
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Ouverture du Parc archéologique de la Pointe-du-Buisson, à Melocheville, présentant l'histoire amérindienne dans la vallée du Saint-Laurent. |
1985 |
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Ouverture du Lieu historique national de la Bataille-de-la-Ristigouche, qui présente les artefacts provenant de l'épave du Machault, coulée en 1760; il raconte un des principaux événements historiques de la Conquête.
Institution du Département d’archéologie de l’Institut culturel Avataq.
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1983 |
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Ouverture du Centre d'interprétation de la Métabetchouane, à Desbiens. Il deviendra en 1996 le Centre d'histoire et d'archéologie de la Métabetchouane. Ouverture du Lieu historique national du Fort-Chambly. |
1982 |
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Création de l'Ostéothèque de Montréal, consacrée à la recherche en zoo-archéologie et à la mise en valeur des collections ostéologiques au Québec. |
1980 |
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Création de l’Institut Culturel Avataq. |
1979 |
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Création de l'Association des archéologues du Québec (AAQ). Création du Centre de conservation du Québec (CCQ). |
1977 |
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Création de la première firme d'archéologie au Québec, Les Entreprises Archéotec Inc., un centre de recherche en archéologie et en géomorphologie. |
1976 |
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Adhésion du Canada à la convention de l'UNESCO pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel. |
1973 |
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Adoption du Règlement sur la recherche archéologique, qui énonce les conditions relatives à l'émission des permis de recherche archéologique et à la présentation du rapport annuel. |
1972 |
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Adoption de la Loi sur les biens culturels, qui range les sites archéologiques parmi les biens culturels à protéger. Adoption de la Loi sur la Qualité de l’Environnement qui renforce les mesures de protection du patrimoine archéologique via les études d’impact. |
1971 |
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Premier numéro de la revue Recherches amérindiennes au Québec. |
1965 |
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Des étudiants de l'Université de Montréal fondent la Société d'archéologie préhistorique du Québec (S.A.P.Q.). |
1963 |
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Ouverture du musée d'archéologie de Trois-Rivières, fondé par René Ribes. Il sera intégré en 1996 au Musée des arts et traditions populaires. |
1961 |
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Création d'un Service d'archéologie au sein du ministère des Affaires culturelles du Québec. |
1950 à 1955 |
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McGill est la première université du Québec à accueillir comme professeur un archéologue-géographe, Gordon Lowther. En 1955, il publie le premier résumé des travaux archéologiques exécutés au Québec. |
1923 |
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Fondation de l'Association canadienne-française pour l'avancement des sciences (ACFAS). |
1922 |
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Adoption de la Loi sur les monuments historiques ou artistiques et création de la Commission des monuments historiques du Québec, qui deviendra, en 1972, la Commission des biens culturels puis en 2012, le Conseil du patrimoine du Québec. |
1921 |
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Création du Parc historique du Fort-Lennox, le premier Lieu historique national au Québec. |
1920 |
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Pendant plus de dix ans, l'archéologue William John Wintemberg, du Musée national de l'Homme à Ottawa, explore la vallée du Saint-Laurent, la Côte-Nord et les Îles-de-la-Madeleine. Il découvre, entre autres, les sites de Lanoraie, Batiscan, Tadoussac, Mingan, Kegashka et Brador. |
1895 |
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Ouverture du musée du château Ramezay par la Société d'archéologie et de numismatique de Montréal. |
1872 |
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La Société d'archéologie et de numismatique de Montréal publie la revue Canadian Antiquarian and Numismatic Journal. |
1862 |
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Fondation de la Société d'archéologie et de numismatique de Montréal. |
1950 à 1955 |
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Ouverture du Musée et site archéologique de la Maison Nivard-de-Saint-Dizier, Montréal. Adoption de la nouvelle Loi sur le patrimoine culturel du gouvernement du Québec. |
1859 |
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Première publication en archéologie par Sir John William Dawson. |