Visite de la Réserve des collections archéologiques de la Ville de Montréal

By Québec Archéo | 
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Visite de la Réserve des collections archéologiques de la Ville de Montréal

Dès notre arrivée, il a fallu se présenter, donner notre nom au gardien de sécurité, déposer nos sacs et notre manteau et épingler une cocarde à notre chandail. La visite du lieu se ferait sans chaussures et mes chaussettes étaient à l’envers. J’étais nerveuse de visiter la Réserve des collections archéologiques de la Ville de Montréal. J’avais pourtant fait mes recherches, parcouru les archives du Mois de l’archéologie, les descriptions d’artéfacts et les publications sur le site web de la Ville. J’avais révisé mes manuels scolaires, mémorisé les dates importantes et visionné avec attention les courts-métrages mettant en valeur le travail des archéologues. Au total, trois vidéos – bientôt quatre, me dira-t-on plus tard – sont disponibles gratuitement sur Youtube, fruit du travail de François C. Bélanger, archéologue et conseiller en aménagement pour la Ville de Montréal. Ces capsules permettent d’apprécier le travail de ceux qui évoluent souvent de manière bien discrète, dans un petit carré de terre, en plein cœur de la ville.

Je ne me doutais pas que la Réserve des collections archéologiques municipale faisait partie de ces lieux où un immense bagage de connaissances n’est pas nécessaire à l’expérience. La sensibilité et la curiosité suffisent! D’abord, il est intéressant de savoir que la Ville de Montréal cache sa réserve loin des regards, dans l’ancien complexe brassicole Dow. Fondée par Thomas Dunn en 1790, la brasserie Dow débute ses activités à La Prairie. Un certain John Molson vient d’ouvrir sa brasserie à Montréal et il suffit à peine à la demande : les Écossais peuvent enfin déguster un produit qui leur rappelle la maison et les Anglais emboîtent le pas, ce qui rend Molson très heureux et surtout, débordé! Le produit brassé par Dunn devient si populaire qu’une vingtaine d’années plus tard, il déménage ses cuves à Montréal, sur la rue Notre-Dame, avant de procéder à un deuxième déménagement, sur la rue Peel. Il embauche un jeune maître brasseur du nom de William Dow, fils de brasseur écossais, qui deviendra l’héritier de la compagnie. La brasserie Dow est active pendant plus de 175 ans avant de fermer ses portes, en 1967. C’est dans cet ensemble patrimonial que sont conservées les collections archéologiques de la Ville de Montréal.

La Réserve municipale n’est pas ouverte au public comme l’est un musée. Il s’agit plutôt d’un lieu de gardiennage des collections qui peut être visité sur rendez-vous. Au-delà d’une contrainte d’espace qui ne permet pas l’accueil de grands groupes, un manque de personnel empêche la tenue de visites à l’année. En effet, la petite équipe qui y travaille se divise de multiples tâches, qui vont de la gestion des collections, à la restauration d’objets, en passant par les prêts, la programmation et la diffusion. Même s’il est impossible de recevoir des invités quotidiennement, la Réserve n’est pas statique et ses collections rayonnent grâce aux institutions muséales qui les exposent et aux universités, qui empruntent les artéfacts à des fins d’études et d’analyse. Les archéologues sont satisfaits de voir les objets transiter aux quatre coins de la province et dans différents musées du pays, afin que des milliers d’yeux puissent les admirer. Quant à la médiation, elle se déploie autour d’une sélection d’une centaine d’objets, disposés sur une grande table dressée dans une des salles de la Réserve. Cette sélection change au rythme des thématiques de présentation, ce qui permet des échanges dynamiques avec le public.

À travers les collections archéologiques de la Ville, les objets sont soigneusement étiquetés, numérotés et placés dans des caisses. Chacune des salles présente un niveau d’humidité et une température contrôlés, conditions de mise pour permettre une conservation optimale. Dans les couloirs blancs, chaque porte doit se refermer avant qu’une autre ne puisse s’ouvrir, pour protéger les espaces d’une contamination extérieure. De manière très cérémonielle, ceux qui ont le privilège de circuler ici acceptent cette danse.

Parmi les objets les plus lourds et hors dimension, disposés au sous-sol, se cachent cinq pièces de bois qui ont joué un rôle clé dans la protection de la ville fortifiée. Ce sont des troncs de cèdre blanc ayant fait partie de la palissade qui ceinturait Montréal, entre 1687 et 1716, avant que Chaussegros de Léry, ingénieur en chef du roi, ne commande une fortification maçonnée. D’autres vestiges en bois découverts par les archéologues témoignent de la fondation du Royal Insurance Building, aujourd’hui disparu. Ils ont été recueillis par les archéologues et étudiés, mais ils ne font plus partie des objets de la Réserve. Ces pilots ont retrouvé leur position d’origine, au musée Pointe-à-Callière, dans le cadre de l’exposition permanente Montréal au cœur des échanges. Ainsi, certaines découvertes archéologiques retournent en terre dans une volonté de gestion de l’espace de la Réserve ou encore, lorsqu’il y a prise en charge par une institution des objets retrouvés. Un autre exemple de cette situation concerne cinq palettes de pierre prélevées de l’égout collecteur William, sous la Place d’Youville qui ont été remises en terre après avoir été analysées. Comme ces objets ne seraient vraisemblablement pas exposés dans le futur, il valait mieux les retourner à l’endroit de leur découverte.

Si Monsieur Bélanger a observé à plusieurs reprises les principes du recyclage et de la récupération à travers sa carrière, c’est parce qu’il n’est pas rare de découvrir des objets qui montrent plusieurs techniques et savoir-faire différents, sorte de co-création entre les experts de différentes décennies. La Réserve est remplie de ces objets qui témoignent du mode de vie de ceux qui ont vécu en sol montréalais avant nous.

Nous avons aussi eu la chance d’observer de près une douzaine de fourneaux de pipes à fumer retrouvées dans le quartier Sainte-Marie, le quartier des pipiers. Jusqu’en 1876, la fabrique de pipes à fumer Henderson confectionne et exporte des milliers de pipes, avant que la compagnie ne devienne la propriété d’un autre pipier nommé W.H Dixon, jusqu’en 1892.  Les détails des objets sont magnifiques, petites œuvres d’art si fragiles retrouvées par milliers dans les couches le sous-sol de Montréal. On a même retrouvé des pipes de fabrication montréalaise jusqu’en Australie!

La visite de la Réserve nous est apparue trop brève. Nous voulions entendre Monsieur Bélanger nous raconter l’histoire derrière chaque objet et derrière chaque site. La Réserve donne une impression de musée sans cartels : tous les objets sont là, dans un ordre médical, mais ils sont muets. Aucune description ne les accompagne, aucun indice ne peut aider le visiteur distrait à comprendre ce qu’il voit. Les objets conservés nécessitent la présence de l’archéologue devenu médiateur pour prendre vie devant nos yeux. Maintes fois exposés et étudiés, ces artéfacts révèlent un passé riche et une histoire à préserver.

Si le travail de François C. Bélanger est aussi fascinant, c’est probablement à cause de cette étincelle dans son regard, digne de ceux qui ont plus d’idées que de temps – et parfois, de moyens – pour les réaliser. Il nous guide dans la visite d’un lieu qu’il connaît par cœur, pour l’avoir fréquenté depuis une quinzaine d’années. Les sols de Montréal aussi, il les connaît bien, et il sait les défendre. Des anecdotes de chantiers de construction où il a fait réaliser des fouilles, il en a quelques-unes à raconter. Avec le temps, les différents intervenants unis lors des nouveaux projets de constructions et d’aménagement ont bien compris le rôle important de l’archéologie. Il s’agit maintenant d’un travail d’équipe où l’archéologie est proactive et intégrée.

Une autre fierté de l’équipe d’archéologues de la Ville se traduit par leur grand travail de diffusion : capsules vidéo, collection numérisée et accessible gratuitement en ligne et plus récemment, publication d’un ouvrage racontant le travail des archéologues et l’histoire d’une quarantaine de sites archéologiques. Il est difficile de croire qu’une si petite équipe arrive à produire tout cela.

Si les archéologues de la Ville de Montréal savent si bien s’entourer pour la création d’activités de diffusion riches et variées, c’est parce que la volonté de partager les découvertes et les connaissances acquises grâce aux fouilles est grande. Chacun est responsable de faire rayonner ces objets qui ont été témoins de la grande histoire de Montréal. Dans les salles immaculées, entre les étiquettes soigneusement attachées, se cache aussi un amour infini pour cette ville aux multiples visages.

Pour en connaître davantage sur les activités de la Réserve des collections archéologiques de la Ville de Montréal : http://ville.montreal.qc.ca/culture/archeologie-montreal

Pour découvrir le livre « Lumières sous la ville. Quand l’archéologie raconte Montréal », paru en 2016 sous Recherches Amérindiennes au Québec : https://recherches-amerindiennes.qc.ca/site/produit/lumieres-sous-la-ville

Pour visionner les courts-métrages produits par l’équipe : chaîne Youtube MTLVille


Photo: Simon Laroche
Texte: Valérie Dezelak